Le 18 août dernier est paru aux éditions Eyrolles un ouvrage des avocates Amélie Blandin et Anne-Marie Bellenger, consacré aux aspects juridiques du BIM (building information modeling) : « Le BIM sous l’angle du droit ».

Compta-Architectes - Le BIM sous l'angle du droit - De Amélie BLANDIN et Anne-Marie BELLENGER, préfacé par notre partenaire Olivier CELNIK

Cette publication est préfacée par notre partenaire Olivier Celnik, architecte et codirecteur du Mastère Spécialisé BIM, Ecole des Ponts ParisTech – ESTP.

« Quelle est ma responsabilité si je transmets à mon ingénieur (ou maître d’ouvrage ou entreprise) un fichier dans lequel un poteau n’est pas au bon endroit ou n’a pas les bonnes caractéristiques ? »

Cette question ne date pas d’hier, à l’occasion de la livraison par internet de la maquette numérique d’un projet BIM, dans laquelle chaque objet de construction est modélisé en 3D et renseigné en 4 ou même en 7D, mais des dernières décennies du siècle passé, lorsque les calques numériques commençaient à remplacer les calques papier, et qu’on les échangeait sur des disquettes souples, sur lesquelles un poteau n’était rien de plus qu’un cercle dessiné d’une certaine façon.

La fiabilité technique était approximative, les méthodes d’organisation balbutiantes, les codifications absentes ou à l’inverse trop rigides, et le terrain juridique incertain, voire ignoré de tous. Et pourtant, les professionnels de la construction ont ainsi échangé des données numériques depuis plus de trente ans, sans remise en cause ni problèmes majeurs.

La transition numérique en général, et le BIM en particulier, bouleversent-ils aujourd’hui le paysage et les pratiques, ou ne constituent-ils qu’une évolution, une synthèse, de ce que sont, ou devraient être, les modes de collaboration fondamentaux des acteurs du projet ?

Il faut donc saluer le travail d’Anne-Marie BELLENGER et Amélie BLANDIN qui proposent un point de vue pragmatique aux interrogations juridiques soulevées par le BIM.

J’ai eu le plaisir de les accueillir au sein du Mastère Spécialisé BIM, première formation diplômante en France ouverte en 2014 par l’Ecole des Ponts ParisTech et l’ESTP, et d’y créer le premier module d’enseignement sur les aspects juridiques et contractuels du BIM, où ont été posées les bases de ce qui allait devenir cet ouvrage. A la lecture de leurs premiers écrits réservés aux mastériens, j’étais déjà convaincu qu’ils seraient utiles au plus grand nombre, non seulement par les développements spécifiques au BIM, mais aussi par le rappel des grandes notions que tous les professionnels devraient connaître : droit, responsabilité, contrat, propriété intellectuelle…

Les mastériens, représentatifs de la diversité des professions du monde de la construction et des expériences professionnelles, leur ont réservé le meilleur accueil, ce que la seconde promotion vient de renouveler quelques mois avant la parution de cet ouvrage.

Il est intéressant de constater que nombre de sceptiques du BIM se réfugient derrière une apparente absence de sécurisation juridique pour justifier leur attentisme (« tant que le cadre juridique n’est pas clairement établi, on ne bouge pas ») alors que les témoignages des premiers responsables BIM de grands – et moins grands – projets exposent qu’ils sont allés de l’avant sans bases contractuelles, avec leur simple bonne volonté… et que cela a fonctionné : « on avance en marchant, on n’a pas de certitude absolue, mais il faut y aller ».

La vérité est vraisemblablement entre les deux attitudes. Il faut que les droits et devoirs de chaque acteur soient définis et fixés par écrit, afin d’éviter toute ambiguïté, à commencer par celle d’un vocabulaire pas encore stabilisé, et assurer la traçabilité des actions de chacun, de son apport au travail collaboratif commun, et notamment de son intervention sur la (ou sans doute les) maquette(s) numérique(s) du projet.

Mais il faut aussi que les écrits soient simples et limpides, au risque que des procédures trop complexes ne freinent l’appétence des intervenants, et que des règles trop rigides ne figent le développement d’un projet qui doit pouvoir évoluer au fil des phases et des itérations.

Par la voix du PTNB, l’Etat a choisi d’accompagner le monde de la construction vers le BIM non par la loi qui l’imposerait mais par l’incitation : donner envie, donner confiance, donner les moyens à tous les acteurs, en veillant à ne pas laisser les plus petits sur le bord de la route, artisans comme petites structures d’ingénierie ou d’architecture.

Le BIM est sans doute davantage une évolution des pratiques qu’un bouleversement, voire même un retour aux fondamentaux.

Les nouveaux documents qui apparaissent avec le BIM, cahier des charges de la maîtrise d’ouvrage, convention ou protocole de la maitrise d’œuvre, guides de modélisation et d’enrichissement de données, livrables numériques… sont avant tout l’occasion de (re)définir explicitement des notions de base, oubliées ou parfois distordues par l’habitude et l’implicite. La démarche BIM fait parfois bouger le curseur de la répartition des rôles entre les intervenants, ou de l’évolution du projet entre les phases, mais n’induit et n’impose pas de modifications fondamentales. Un projet reste composé de plusieurs phases contractuelles successives, définies dans un contrat avec des objectifs et des livrables correspondants. Les acteurs, maîtres de l’ouvrage, maîtres d’œuvre, entreprises de construction ou d’exploitation, demeurent et ne sont pas interchangeables, chacun a son rôle et ses responsabilités propres. On peut craindre qu’ils soient confondus ou dilués, ou au contraire faire en sorte, armé de connaissances en organisation et en droit, que tout soit au contraire plus clair et plus sûr.

Le travail collaboratif enthousiaste et confiant de tous les acteurs peut sembler un vœu naïf et angélique, ignorant la réalité des tensions, des antagonismes, des intérêts divergents. On constate pourtant que la démarche BIM, le travail autour d’une même maquette, favorise le dialogue, la communication, et concentre les énergies au service du projet.

Il n’est pas besoin d’inventer de nouvelles règles, tout au plus d’adapter certains détails d’application, il faut surtout connaître et appliquer les fondamentaux. Il ne faut pas craindre les responsabilités (souvent par conscience de son ignorance), il faut les connaître, les assumer, les revendiquer et même alors les valoriser.