La proposition est portée par un rapport de l’inspection générale des finances, fraîchement exhumé par le nouveau ministre de l’Economie Emmanuel Macron : permettre l’ouverture complète du capital des sociétés d’architecture à des investisseurs non architectes. Ce rapport – qui prône plus généralement une dérèglementation de la plupart des professions libérales – a suscité une levée de boucliers des principaux intéressés, une mobilisation sans précédent le 30 septembre dernier à laquelle les architectes ont largement fait honneur !

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La libéralisation du marché de l’architecture : une prime au mauvais goût…

La dérèglementation a le vent en poupe en ce moment. Les opticiens ont ouvert le bal avec la loi Hamon du 17 mars 2014, brisant leur monopole de direction d’un point de vente de lunettes. Aussi, la question est particulièrement médiatique s’agissant des pharmaciens, avec un enjeu très sensible de santé publique (et de finances publiques…) lié à la vente de médicaments.

L’idée fait son chemin : aérer, fluidifier le marché, exciter la concurrence, faire baisser les prix pour le consommateur, faciliter également les mouvements de capitaux, l’investissement dans les entreprises concernées et enfin, favoriser la liberté d’entreprendre au niveau européen (l’Europe qui impulse le mouvement pour une large part).

Mais n’oublions pas les architectes, s’il vous plaît ! Pour l’heure, les sociétés d’architecture font l’objet d’une règlementation spécifique. Elles doivent :

– être inscrites à l’Ordre ;

– émettre des titres nominatifs, permettant d’identifier leur titulaire (par différence avec les actions au porteur) ;

– surtout, présenter une certaine composition du capital social :

  • plus de la moitié de ce dernier doit être détenu par un ou plusieurs architectes ;
  • et les personnes morales associées qui ne sont pas des sociétés d’architecture ne peuvent détenir plus de 25 % des parts et droits de vote.

 

Le rapport de l’IGF propose à cet égard d’ouvrir à 100 % (ou plus modestement 51 %) le capital des entreprises d’architecture à des investisseurs non architectes. Le pouvoir décisionnel passerait alors aux mains de personnes externes à la profession et le travail salarié serait privilégié à l’activité libérale, ce qui (à en croire le rapport) irait dans le sens des préoccupations nouvelles des plus jeunes générations de bâtisseurs…

i BON À SAVOIR :

Initialement le métier d’architecte était cantonné à un exercice individuel ou sous forme de société civile (loi du 31 décembre 1940). Et c’est la loi de 1977 sur l’architecture qui ouvrit la profession aux sociétés commerciales (SA et SARL) et permit l’accès au capital d’associés minoritaires non architectes. La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique devait ensuite apporter certaines modifications mais sans entamer l’esprit du texte, ni l’équilibre obtenu :

  • favoriser l’investissement dans les agences d’architecture, qui ont besoin de capitaux comme chaque entreprise ;
  • tout en préservant l’indépendance intellectuelle des architectes par le maintien d’une majorité au capital.

Sans conteste, le rapport de l’IGF constitue à cet égard un point de basculement. La logique capitalistique prend le pas sur des enjeux essentiels, artistiques, urbanistiques… Il n’est pas rare que nos clients architectes se plaignent du mauvais goût de leurs commanditaires. Le rapport propose ni plus ni moins d’importer ce « mauvais goût » en interne, au sein même du pouvoir décisionnel de l’agence !

Il est clair que l’enjeu dépasse les seuls intérêts de la profession et nous concerne tous en tant que citoyens : quel cadre de vie désirons-nous dans vos villes et ailleurs ?

 

Le 30 septembre : les architectes dans la rue !

Dans un contexte relativement peu sécurisant pour les professions libérales, le rapport de Bercy a eu l’effet d’une petite bombe, insufflant un mouvement de solidarité chez des professionnels pourtant affublés d’une image « individualiste ». Le 30 septembre dernier fut ainsi l’occasion d’une exceptionnelle manifestation des travailleurs libéraux dans Paris : médecins, pharmaciens, notaires, huissiers de justice… Bien entendu, les architectes ont répondu présents à l’appel de l’Unsfa et se sont joints à l’événement : c’est la moitié des cabinets qui furent fermés ce jour-là !

Le gouvernement n’est pas resté insensible, qui promet une large concertation à venir. Pour l’heure, à notre modeste mesure, nous rappelons que le financement des agences d’architecture ne passe pas exclusivement par des apports en capital. Tout un ensemble bigarré de solutions sont à votre disposition, du sophistiqué LBO au plus novateur et médiatique crowdfunding ! Ces dispositifs techniques appellent néanmoins l’intervention d’un professionnel de confiance.