Dans un arrêt récent, la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel l’œuvre architecturale accède à la protection du droit d’auteur sous réserve d’être originale et pas simplement nouvelle.

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Des photographies de bâtiments accusées de contrefaçon

Les faits sont encore chauds, si l’on peut dire : la décision de la Cour de cassation date du 22 janvier 2014 et l’affaire n’est pas close, qui repassera dans quelques temps devant une cour d’appel de renvoi…

Une société d’architecture se voit attribuer un marché de conception et de réalisation d’un complexe sportif ainsi qu’un autre marché portant sur une « serre à crocodiles ».

Une personne, intervenue dans la réalisation de ces projets, présente sous son nom des photographies des deux œuvres dans une brochure et sur un site internet. Réaction véhémente de la société d’architecture qui l’assigne en contrefaçon !

La cour d’appel saisie de l’affaire fait droit à la demande. Avec force de détails appliqués, elle dresse les divers traits remarquables des bâtiments litigieux : une forme complexe composée d’arrondis, des asymétries spécifiques, l’emploi de plusieurs matériaux différents ; l’ensemble est proprement splendide et converge pour les juges vers l’honorable qualification d’œuvre de l’esprit, précieux sésame (plus ou moins) élitiste pour recevoir les faveurs du droit d’auteur !

Mais la Cour de cassation de stopper net la verve lyrique de la cour d’appel :

« en fondant sa décision sur l’absence d’antériorité et le caractère nouveau des choix opérés pour la conception de ces bâtiments et de leurs aménagements, la cour d’appel qui n’a pas caractérisé en quoi ces choix, pour arbitraires qu’ils fussent, portaient l’empreinte de la personnalité de leur auteur, a violé les textes susvisés »

Comprenez : la qualification d’œuvre de l’esprit est soumise à la condition que le bâtiment examiné soit original au sens précis où il doit faire ressortir toute la richesse intérieure de son auguste concepteur.

Or force est de constater que la motivation de l’arrêt d’appel ne fait nulle mention d’une telle exigence, d’où la censure de la Cour de cassation.

 

De l’originalité à la nouveauté architecturale, il n’y a qu’un pas !

Il est reproché à la cour d’appel d’avoir caractérisé davantage la nouveauté des bâtiments que leur originalité, en relevant par exemple que « le tout diffère des aménagements classiques de zoo » (autrement dit, les installations diffèrent de ce qui existe déjà), sachant qu’en principe, la nouveauté relève non pas du droit d’auteur mais de la propriété industrielle et plus spécifiquement, du droit des brevets : on protège une invention parce qu’elle est nouvelle et une œuvre d’art en raison de son originalité.

Sachez cependant, pour la petite histoire, que les règles sont particulièrement subtiles en la matière si bien qu’il arrive aujourd’hui de plus en plus fréquemment que le droit d’auteur ait recours au critère de la nouveauté, notamment depuis que les logiciels sont éligibles à la propriété littéraire et artistique, ce qui a eu pour effet de brouiller la frontière entre cette dernière et le droit des brevets…

C’est pourquoi d’ailleurs cette récente décision de la Cour de cassation, qui recentre le droit d’auteur sur l’originalité, est particulièrement intéressante !… du moins pour les juristes.

Pour les architectes, artistes dans l’âme, une question toute autre se posera peut-être : où se situe au fond la différence entre une œuvre originale et une œuvre nouvelle ? Quel est donc le sens d’un tel distinguo ? Manifestement nous touchons ici à un abyme de complexité que le droit d’auteur n’est peut-être pas à même d’assumer complètement…

Le juriste va droit au but, laisse la philosophie de l’art aux classes terminales (le baccalauréat arrivant à grand pas !) et se contente de quelques principes simples :

Est nouveau ce qui diffère de l’ancien.
Est original ce qui exprime la personnalité de l’auteur.

Et sur ce fondement, la jurisprudence admet tout et n’importe quoi au titre d’œuvre originale :
un panier à salade, une boîte à œuf, un décapsuleur…

Alors soyez rassuré, toute production architecturale est en principe originale (au moins juridiquement parlant…). Dans notre arrêt du 22 janvier 2014, la censure de la décision d’appel s’explique avant tout pour des raisons formelles : la même décision, comportant l’expression : « le bâtiment exprime ainsi la personnalité de son concepteur » serait sans doute passée « comme une lettre à la poste » aux yeux de la juridiction suprême.

i BON À SAVOIR :

Tout bâtiment architectural est en principe original et protégé, oui… Il faut néanmoins avoir conscience d’une limite qui a sa consistance. Si en principe le droit d’auteur est indifférent au caractère utile ou non de l’ouvrage examiné, il n’étend pas ses largesses aux objets dont la forme est entièrement commandée par leur fonction. Ainsi une production architecturale dont l’agencement s’épuise dans une recherche exclusive de fonctionnalité sera sans doute exclue du champ de la propriété littéraire et artistique.